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Rainbowcinema ou le septième art et l'homosexualité
Rainbowcinema ou le septième art et l'homosexualité
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5 août 2006

PARAGRAPHE 175

cinq2

affiche_paragraphe_175

Tout le monde connaît à présent le sort effroyable que les nazis ont infligé à des millions de Juifs pendant la Seconde Guerre Mondiale. En revanche, moins nombreux sont ceux qui sont au courant des persécutions dont les homosexuels ont été victimes durant cette même période car ce sujet a longtemps été passé sous silence. Mais Rob Epstein et Jeffrey Friedman, auteurs de Celluloïd Closet ont rompu avec ce mutisme dans Paragraphe 175, excellent documentaire commenté par Rupert Everett et qui rassemble des archives et des témoignages poignants d'homosexuels brisés par l'intolérance hitlérienne.


Berlin, paradis perdu des homosexuels sous le IIIème Reich

paragraphe_175_c3Les survivants Karl Gorath, Pierre Seel, Heinz F., Annette Eick, Albrecht Becker, Gad Beck, Heinz Dörmer, autrefois enfermés dans l'anonymat le plus complet, témoignent de leur vie homosexuelle durant le régime nazi. Ils évoquent tout d'abord le Berlin des années 20, alors considéré comme la capitale des homosexuels. paragraphe_175_a2Les couples gays et lesbiens s'affichent sans crainte dans la ville, à l'intérieur de ses bars, de ses cafés et de ses dancings où règne un climat d'insouciance. Ils se croient à l'abri du danger car, hormis Gad et Annette, tous sont Allemands et puis le dirigeant des SA, Röhm, est lui-même homosexuel et fait partie de l'entourage d'Hitler.

Mais, en 1934, tout bascule. Röhm est assassiné. Sa disparition met un terme à l'insouciance des milieux homosexuels. La répression s'organise. Berlin, le paradis des homosexuels se transforme alors pour eux en capitale de la douleur. En 1935, malgré des mouvements protestaires conduits sous l'égide du sexologue Magnus Hirschfeld, le paragraphe 175 du code pénal (existant depuis 1871) est rigoureusement appliqué. Désormais, c'est avec une fermeté implacable qu'il sanctionne, sous peine d'emprisonnement, les hommes qui s'adonnent entre eux à des actes de débauche contre nature. Les lesbiennes en sont épargnées car le saphisme n'est pas considéré comme une épidémie mais la venue d' Hitler au pouvoir sonne le glas de leur vie sociale et s'avère une épée de Damoclès extrêmement tranchante pour les homosexuels. Créée dès 1933 par la Gestapo, la cellule spéciale destinée à lutter contre l'homosexualité masculine déploie tout son zèle pour arrêter et persécuter tous les hommes soupçonnés d'avoir une préférence pour les êtres du même sexe.

Lumière sur une page noire de l'histoire enfouie dans l'oubli

Rongé par le désir meurtrier d'exécuter le projet décrit dans Mein Kampf, Hitler cherche avant tout à purifier son pays. Il veut se débarrasser de ceux qui ne sont pas des frères de race c'est-à-dire les Juifs principalement. Mais ses desseins ne s'arrêtent pas là. Hitler décide également d'éliminer les homosexuels alors perçus comme une menace pour le sang allemand et comme un groupe d'êtres asociaux. paragraphe_175Le chancelier envoie un certain nombre d'entre eux dans des camps. Déshumanisés, tous les déportés sont contraints à porter un triangle dont le sommet est pointé vers le bas. Rose était la couleur de celui des homosexuels, lesquels occupaient le bas de l'échelle dans la hiérarchie des camps.

Peu d'homosexuels ont connu les chambres de la mort mais parmi les 100 000 qui ont été arrêtés, dix à quinze mille ont été emprisonnés dans des camps où ils étaient plongés dans la douleur et l'opprobre, astreints à des travaux pénibles et victimes de brimades, de tortures, de castrations ainsi que d'expérimentations médicales. Mais, à la différence des Juifs, aucun d'entre eux n'a été jusqu'à présent reconnu comme victime du régime nazi. Pire, tous gardent le statut de criminel que leur a imposé le régime hitlérien... Si de nombreuses personnes ont oublié cette sombre période de l'histoire de la déportation, les témoins de Paragraphe 175, eux, s'en souviennent encore et prennent la parole pour rappeler les faits et les mettre au grand jour après un long silence éloquent.                              

Des  histoires d'amour et des êtres déchirés par le nazisme et l'homophobie   

image_paragraphe1751Condamnés à l'oubli pendant plus d'une cinquantaine d'années, ce n'est pas sans douleur que les survivants s'expriment dans Paragraphe 175. Les témoins, très âgés et apathiques, sont parvenus à trouver le courage et la force pour réveiller les souvenirs lointains et douloureux de leur lourd passé. Mais ce n'est pas tout. Albrecht et les autres font également ressurgir de leur mémoire l'image de leurs amoureux à qui ils consacrent une place importante dans leur témoignage. Car l'amour et la haine nazie sont étroitement entremêlés dans ce documentaire, ce qui lui confère ainsi toute sa force. Albrecht, vieil homme de faible complexion, exulte lorsqu'il évoque son ancien amant au torse glabre. Le sourire s'inscrit sur son visage au moment où il fait allusion à son ami new-yorkais tandis que le visage de Gad Beck s'illumine lorsqu'il se remémore sa première relation amoureuse avec un professeur de sport. Heinz Dörmer n'oublie pas non plus ses anciennes histoires d'amour vécues parmi les scouts, lesquels ont dû céder leur place aux jeunesses hitlériennes venues, selon son expression, avec leurs coups-de-poing américains.

Lors de la seconde partie du documentaire, les survivants deviennent perclus de douleur. Leur visage se ferme et la souffrance se lit dans leur regard quand ils évoquent les fantômes du IIIème Reich. Leur voix tremble lorsqu'ils parlent de la perte de leurs proches et prononcent les noms des camps tristement célèbres : Dachau, Buchenwald, Mathausen, Auschwitz. Paragraphe 175 se clôt sur le témoignage bouleversant de Heinz F, nonagénaire condamné à rester muet dans sa thébaïde comme les autres survivants, car à quel saint se vouer lorsque l'on est homosexuel, vivant de surcroît sous le régime hitlérien?... La souffrance gagne le vieil homme car parler du passé constitue paragraphe_175_b2bien plus qu'une épreuve pour cet homme qui a été emprisonné plus de huit ans dans des camps. Les témoignages de ce documentaire se révèlent d'une extrême violence : l'amour y jouxte en permanence le summum de la haine, l'horreur du IIIème Reich, période où, selon l'expression résolument juste de Malraux, l'homme rivalisa avec l'enfer et donna des leçons au diable.

En 2000, Paragraphe 175 a été récompensé lors du Festival de Berlin où il a obtenu l'Ours d'or du Documentaire. Le Festival du Film Indépendant de Sundance a également bien accueilli le film de Rob Epstein et de Jeffrey Friedman en leur décernant le Prix du Meilleur Réalisateur de Documentaire. Tous deux ont eu le mérite d'extraire de l'oubli une page sombre de l'histoire grâce aux témoignages de quelques survivants qui ont eu le courage de s'exprimer après de très longues années de silence. Malheureusement, le statut de victime du régime nazi ne leur a toujours pas été accordé car, si le IIIème Reich a disparu, l'homophobie est bel et bien présente dans notre société où la dignité des homosexuels est encore trop souvent bafouée.

Sortie : novembre 2001
Réalisation : Rob Epstein et Jeffrey Friedman
Narration : Rupert Everett
Production : FilmFour Ltd., Cinémax, HBO theatrical documentary, Telling pictures, Zero Films
Photographie : Bernd Meiners
Compositeur : Tibor Szemzö
Genre : Documentaire
Durée : 81 minutes
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